La vallée des rubis
« Je ne comprenais rien à leur vocabulaire, mais ce que je voyais bien, c’était, dans la clarté pauvre et brumeuse de ce jour de pluie, l’éclat de braise translucide, le feu miraculeux de ce fragment de lumière empourprée. »
— Joseph Kessel, La vallée des rubis
Voilà deux semaines que j’ai fini ce livre de l’académicien Joseph Kessel. Cela faisait longtemps qu’il faisait partie de ma PAL – pile à lire – suite à l’écoute du merveilleux récit de voyage d’Hugo Nazarenko dans le podcast Les Baladeurs. C’est Kessel qui lui a donné envie de faire ce voyage en Haute Birmanie si je me souviens bien. Et maintenant que j’ai lu ce livre, je comprends mieux pourquoi.
Voyageuse mais pas aventurière, ce livre m’a fait vivre un voyage d’une qualité remarquable et unique. La plume de Joseph Kessel est incroyable. Avec une très grande délicatesse, Joseph Kessel nous partage tout ce que son corps et son être captent de leur environnement, des paysages et des personnes rencontrées, ou encore des échanges menés avec ses interlocuteurs, et même les interrogations que cet ensemble de sources d’informations provoquent chez lui.
Observateur sans relâche, j’ai ressenti dans son écriture un mélange de réserve et d’émerveillement. Je ne sais pas si ce genre existe mais si je devais classer ce roman, je dirais qu’il s’agit d’un roman-reportage. C’était beaucoup plus riche qu’un guide de voyage, c’était le récit d’une expérience personnelle vaste, où le dépaysement m’a semblé infini alors même que le territoire géographique parcouru ne m’a pas laissé cette impression.
Si j’avais assez de connaissances pour développer votre expérience de lecteur de mes humbles chroniques, alors j’inclurais des extraits lus à haute voix, vous invitant à fermer les yeux et imaginer ce que vous entendez, espérant rendre votre expérience davantage immersive. En attendant que je parvienne à un tel résultat par l’apprentissage de nouvelles compétences et par de nouveaux bricolages sur ce blog, je vous livre dès à présent quelques passages choisis et vous invite à vous les lire à haute voix pour vous-même.

« Rien n’est plus émouvant que le premier échange avec une capitale exotique dont on ne sait rien, sinon par les récits et les livres. On ajuste avec bonheur ces notions abstraites à l’éclatante vie que découvrent les yeux. Et les images qui ne se laissent pas comprendre et déchiffrer dès l’abord, enchantent l’esprit par tous les riches secrets qu’il se promet de découvrir.
J’avais le souvenir de marchés magnifiques, depuis le Sud marocain jusqu’à l’Afrique noir et celui de Zanzibar et celui de Bahia. Et les marchés d’Arabie et les marchés des Indes. Mais aucun ne valait pour la délicatesse des nuances, pour la propreté de la foule, pour la gentille dignité des visages, et pour la douceur majestueuse du décor, pour l’invitation au rêve – aucun ne valait le marché de Tchaïpin, en Haute Birmanie. C’était, figuré dans son petit peuple, l’Orient profond, intact, authentique et sage, l’Orient de la route de la soie, de Marco Polo, et de la sereine lumière bouddhique. Pour achever ce spectacle sans pareil, le marché de Tchaïpin, parmi les rangs aux légumes, aux fruits, aux tissus et aux herbes, offrait tout simplement, tout naturellement, le rang des rubis.
Par exemple, je trouve que dans les deux extraits qui précèdent la poésie de Joseph Kessel s’exprime clairement. Son choix de mots véhicule toutes les nuances sensorielles et émotionnelles qui le traversent.
La beauté de La vallée des rubis contient plusieurs facettes, à l’image du sujet qu’il traite – l’extraction et le commerce des pierres précieuses, ici les rubis. Cette sensibilité de Joseph Kessel lorsqu’il décrit un lieu se retrouve aussi lorsqu’il évoque une personne, voire un personnage, ou son caractère. Voici quelques morceaux choisis pour illustrer ce dernier propos.
« Et même si l’on reproduisait avec fidélité tous les souvenirs de Julius et dans leur moindre détail, il leur manquerait toujours l’inimitable saveur qui venait de la manière dont il les contait. Il y avait chez lui un mélange merveilleux de placidité orientale, de sagesse biblique, d’humour anglais, de noire ironie juive et de tristesse russe, par quoi chacun de ses propos se trouvait imprégné à la fois de suc, de verve, de résignation, de malice et de philosophie.
Hors-la-loi dans sa conscience, il était devenu, par une singulière réplique intérieure, hors-la-loi tout court.
Pour conclure, je dirais que ce livre m’a donné à voir, à entendre, à sentir, à goûter presque et que j’ai été sensible à la poésie qui s’en est dégagée. Si vous avez besoin de changer d’air, de vous évader à moindre coût, alors ce roman est pour vous. Il est d’une délicatesse rare et aussi précieuse que ce monde des pierres précieuses qu’il tente de rendre accessible depuis cette vallée de Birmanie.
Bonne lecture !
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