Les déferlantes

« Cette histoire effleurait la mienne, en faisait vibrer tout le sensible.»

— Claudie Gallay, Les déferlantes

     Connais-tu un paysage qui s’imprime en toi ? Peux-tu ressentir la mer, la campagne ou la montagne dans tout ton corps ? Comme l’arbre-monde m’avait inspirée une vive envie de me connecter à la nature, les déferlantes ont provoqué de nouvelles sensations à travers la lecture. Mon expérience fut tout d’abord incroyablement sonore. Puis progressivement, j’ai senti les couleurs, le toucher de l’air et du vent s’imprégner dans mon corps, se fixer sur ma peau, se figer dans mes iris.

     Nous sommes à la Hague, en Normandie, lieu propice à l’observation des oiseaux, et de leur – parfois relative – disparition. Suite à la perte de l’être aimé, une ancienne enseignante décide de venir s’installer à La Hague pour survivre à son immense chagrin en travaillant pour le centre ornithologique de Caen. Un jour, elle fait une rencontre inattendue dans son quotidien d’endeuillée, régi par ses activités d’observation, qui va la conduire sur la trace d’une histoire de naufrage partiellement non résolue. Alors que cet inconnu, originaire de la Hague, et l’histoire qui circule à son égard dans le petit village l’intriguent, la voilà démêlant progressivement un amas difforme de non-dits, de secrets, de haines et de jalousies, d’amours contrariées, de vies bousillées par des choix conventionnels plutôt qu’affectifs. La résolution de ce récit est humainement belle et apporte un peu de lumière et de chaleur solaires face à ces bleu, vert, gris de la mer, ce vent plutôt froid qui souffle sur la Hague si souvent, ces cris d’oiseaux à qui on subtilise des nids pour les étudier.

Les personnages sont une poignée, leurs liens ont traversé les âges et portent les marques d’histoires tues et de vies subies. Et c’est la plus étrangère au groupe qui finit par démêler les nœuds relationnels qui suintent dans les vies de chacun. Les drames du passé sont racontés au présent et c’est par accumulation de conversations que la lumière surgit.

    J’ai trouvé ce récit très sensoriel et très esthétique, tout en étant présenté avec beaucoup de simplicité. Le simple est beau, il suffit de lui accorder l’attention du moment présent pour s’en apercevoir. J’ai notamment eu la sensation de lire un livre particulièrement bruyant dans un premier temps. Voici quelques extraits pour illustrer cette idée :

« Les gens d’ici disaient qu’il fallait être fou pour habiter dans un tel endroit. Ils lui avaient donné ce nom, la Griffue, à cause des bruits d’ongles que faisaient les branches de tamaris en grinçant contre les volets.

Le soir, j’ai entendu la corne de brume, le son grave qui résonnait sur la mer, à intervalles réguliers, un grondement sourd comme un glas fantôme. On aurait dit un battement de cœur. Le bruit s’est éloigné, il s’est assourdi sans être jamais complètement étouffé.

La mer n’est pas un mur, elle ne rend pas l’écho. J’ai arrêté d’hurler.

Les cailloux raclaient au fond de l’eau. C’était un bruit de dedans de mer, un gratté sourd.

     Mais il n’y a pas que la sensation de bruit qui m’a interpellée. L’autrice communique aussi avec une écriture poétique et imagée autour des liens qui peuvent se tisser avec les personnes qui vivent près de la mer. Elle fait de la narratrice de ce récit une grande observatrice qui communique sans détour ses observations, les unions et désunions entre les humains et la nature, ou même les matériaux. Elle pose et se pose des questions touchantes, existentielles par moments. En voici quelques exemples qui ont retenu mon attention :

« À la Hague, les vieux et les arbres se ressemblent, pareillement torturés et silencieux. Façonnés par le vent.

J’aurais voulu être capable de vivre comme il sculptait. Au sang et à la chair. Oser ce que j’étais.

Théo connaissait la respiration de la mer. Il a dit, Je me suis réveillé et j’ai su que la mer venait de prendre quelqu’un.

Je n’avais pas l’heure, simplement le temps de la mer.

Je me suis assise jusqu’à ce que l’espace m’avale. Fasse de moi un être minéral en contemplation devant le monde.

Était-ce la haine qui donnait cette couleur presque brutale à son sang ? Ou le plaisir de comprendre que c’était l’autre, celle dont tout le monde parlait, la morte.

     Ma collection de citations est très grande avec ce livre et j’ai du mal à finir cette chronique, tellement elle aurait pu n’être qu’un recueil de citations. Mais essayons quand même de conclure. Les déferlantes, c’est une histoire comme il doit en exister de nombreuses et qui, si personne ne s’en saisissait à l’écrit, se perdrait dans la nature. On y retrouve des personnages humains, quotidiens et que les démons du passé ont façonné avec acidité et aigreur. Mais ici la vie aura permis à ce que les questions sans réponses ne le restent plus et qu’il y ait enfin un point final à un chapitre âgé d’une quarantaine d’années, permettant d’en commencer un autre pour une nouvelle tranche de vie.

Bonne lecture !

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