Promenons-nous dans les bois
Un héritage du Moyen-Age

Rien n’est moins ardu que de suivre la trace d’un héritage oral à travers des archives écrites. Choisir de chercher l’origine de Promenons-nous dans les bois fut une expérience de recherche désertique pour commencer, puis incroyablement riche par la suite. C’est en acceptant d’ouvrir le champ des possibles qu’un fil d’Ariane a pu surgir et c’est en lâchant prise sur les évolutions plausibles de cette ronde que se terminera en suspens cette chronique.
Je commence pour le moment l’essentiel de mes recherches à propos de comptines ou chansons pour enfants sur Wikipédia, dont le sérieux n’est pas à remettre en question d’après moi, mais dont le caractère collaboratif me semble présenter la limite suivante en matière de véracité des données : faute de sources fiables, identifiables ou traçables, et établies, le contenu disponible sur Wikipédia peut s’avérer inexact ou incomplet. L’ambition d’un tel projet encyclopédique de vouloir réunir cette immensité de connaissances n’en reste pas moins admirable, je trouve.
Ainsi donc démarrent mes recherches. À peine commencées, les pistes se brouillent déjà. Cherché-je l’histoire et les origines d’une comptine ou bien d’un jeu ? Le nom, celui qui a traversé les âges, est-il Promenons-nous dans les bois ou bien Loup y es-tu ? Rien ne semble certain alors il faut suivre chaque piste et voir jusqu’où elle me conduit. La trace du chant, de la chanson, de la comptine, avec le titre Promenons-nous dans les bois comme le titre Loup y es-tu, ne conduit à rien de probant, voire même égare. Sur la route de mes errances de recherche, je lis des écrits de sociologie, d’anthropologie, de psychologie et de psychanalyse pour essayer de comprendre pourquoi le loup compte parmi les archétypes les plus effrayants pour les enfants, tout en étant si présent dans le patrimoine chanté. Je digresse mais revenons à nos moutons. J’ai pu croiser cette variété d’appellations dans des ouvrages tous plus divers les uns que les autres. Mais collectionner les différents noms pour une même chanson ou un même jeu ne me suffit pas.
Alors je continue à suivre mon fil d’Ariane avec pour mot-clé de recherche la queue leu leu. La plupart des informations « superficielles » disponibles sur La queue leu leu raconte qu’il s’agit d’une expression du Moyen-Âge. Leu est le mot-ancêtre de loup en vieux français. L’explication de la médiéviste, Juliette Bourdier, est idéale pour comprendre cette expression si ancienne. À la queue leu leu pourrait se dire à la queue du loup le loup en français moderne. Et ainsi surgit clairement l’image de la meute de loups qui se déplace, non pas en formation regroupée comme un troupeau, mais en file indienne, ce qui a inspiré très probablement cette expression au Moyen-Âge. Mais à la queue leu leu ne s’est pas contentée d’être une expression. En réalité, il s’agit d’un jeu chanté, une ronde.
C’est par le sentier du jeu que je parviens à trouver mon fil d’Ariane. Grâce à un écrit d’Anne Audier, pour la société d’histoire et d’archéologie en Saintonge maritime, je fais le lien pour la première fois entre Promenons-nous dans les bois et un jeu qui, lui aussi, a porté plusieurs noms à travers les âges. Le jeu du Loup est le même que celui de la Queue Leu Leu. Il est joué en étant accompagné par un petit chant court, une sorte de refrain. Et en Saintonge maritime, à l’école de Sainte-Gemme, il est rangé parmi les jeux de filles. Voilà deux éléments qui me permettent enfin d’endosser le costume de pisteur historique. Le lien fort qui m’indique être sur la bonne voie réside dans les paroles retranscrites dans la collecte reste malgré tout admirable à mon avisde Mme Audier, qui sont, à peu de détails près, les mêmes que celles que je connais (née dans les années 1980, j’ai donc pu l’apprendre au début des années 1990) :
« Sainte-Gemme vers 1925-1930. Jeu de filles.
Les enfants passent devant la « tanière » du loup en chantant :
Prom’nons-nous dans les bois, pendant que le loup y est pas,
Si le loup y était, il nous mangerait.
Crié : Loup y es-tu ? Entends-tu ? Que fais-tu ?
Le loup répond successivement qu’il met sa chemise, sa culotte, ses bas, ses souliers, son manteau, son chapeau… Il cherche sa clé, prend son parapluie, ouvre sa porte… Quand « Ça y est ! », il se précipite sur les filles pour les manger. Elles se sauvent au but. Les enfants touchées sont éliminées et le loup les ramène dans sa tanière.
En suivant la thématique du jeu, de filles, et de la ronde, chantée, je lis le riche recueil de Mme de Chabreul (voir sources en bas de la chronique), où je tombe à nouveau sur le jeu du Loup (« ou la queue LeuLeu« ). Voici ce que partage l’autrice du recueil à propos de ce jeu :
« Dans les rondes, le chant est presque continu et détermine les différentes parties du jeu.
Plusieurs enfants, se tenant par la robe, figurent un troupeau de moutons, ayant la bergère à leur tête. Celle-ci chante, et les autres répètent après elle ces vers dont la rime n’est pas riche :
Promenons-nous dans les bois,
Pendant que le loup n’y est pas.
Une de leurs compagnes, qui est cachée, figure le loup. Quand elles ont fait plusieurs tours, elles s’écrient : « Loup, y es-tu ? » Le loup ne répond rien, et la promenade recommence aussi longtemps qu’il plaît au loup de ne pas accourir. Quand approche le dénoûment, l’émotion augmente, parce qu’il un moment où le loup s’écrit à son tour : « Oui ! » en s’élançant hors de sa retraite. Alors les moutons fuient dans toutes les directions, et la bergère, qui ne peut pas être prise, se met autant qu’elle le peut devant le loup, afin de protéger son troupeau. Quand le loup s’empare enfin d’un des moutons, le jeu recommence, car le mouton devient loup à son tour; ou bien on peut convenir que le loup se saisira successivement de tous les moutons, et que ce ne sera que le dernier mouton qui prendra sa place.
Mme de Chabreul indique que la biche remplace parfois le mouton. Eugène Rolland, ethnologue et passionné par l’étude des folklores français, cite les Jeux de collège (1875) de Nadaillac dans le tome 8 sur la Faune populaire de la France qu’il écrit, qui, lui, parle de bélier concernant le premier enfant que les autres suivraient à la queue leu leu. Mais d’où vient ce jeu ? Quel est son âge ? Lui connaît-on un auteur, son inventeur ?
Suivre une piste médiévale s’impose un peu plus fort. En effet, Mme de Chabreul évoque un certain chroniqueur Froissart. Qui est-il ? Il s’agit d’un personnage tout à fait précieux pour tous les amoureux d’histoire. Il est l’un des chroniqueurs les plus importants de l’époque médiévale d’Europe de l’Ouest. Né en 1337 et mort en 1410, par ses Chroniques, il fournit un recueil de faits historiques sans précédents sur la première moitié de la guerre de Cent Ans mais renseigne aussi les générations futures sur la vie au XIVème siècle. Grâce aux écrits, datant de 1860, de l’historien Paulin Paris, se confirme mon hypothèse que Promenons-nous dans les bois est un bel héritage du Moyen-Âge :
« Il [ndlr: Jean ou Jehan Froissart] jouoit à pince-merine, sorte de main-chaude, que Rabelais nomme pince-morille, la queue leu-leu, aux pierrettes, au pince-sans-rire, au cheval de bois, aux barres, à l’avoine, à cache-cache, au deviner, à saute-mulet, à la climusette, à piquer les pieux, à la toupie, à la potée de noix, et à vingt autres jeux que la tradition puérile a sans doute également conservés et que les changements de nom ne permettent plus de reconnoître.
Jean Froissart jouait donc enfant, à partir des années 1340, à la queue leu-leu. Il ne transmet pas dans ses chroniques davantage de détails sur ces jeux, ni s’ils sont chantés ou dansés ou accompagnés d’objets. Mais ce sont les historiens, les folkoristes, les sociologues, les archéologues, tous les chercheurs qui se promènent dans le passé, qui ont tenté par leurs écrits de permettre la mémoire et la conservation de telles informations, l’étude des habitudes, des codes relationnels, des enseignements entre autres trésors patrimoniaux. Moi, je pense qu’il est plausible de tirer comme première conclusion que Promenons-nous dans les bois était le chant qui accompagnait le jeu du Loup, également appelé La queue leu leu. Et cette « ronde enfantine » date donc du Moyen-Âge.
Trouver davantage de précisions pour l’époque du Moyen-Âge est difficile car les écrits ne sont pas aussi nombreux qu’à d’autres périodes. C’est l’historien Jean-Michel Mehl qui m’en fait prendre conscience. En effet, il écrit dans le rapport introductif d’un Congrès national des sociétés savantes qui se tient en 1991 à Chambéry à propos des Jeux, sports et divertissements au Moyen-Âge et à l’âge classique combien l’historiographie des jeux est pauvre pour les époques anciennes, le jeu, plus précisément l’homo ludens, ayant été « diabolisé » avec la christianisation des sociétés humaines.
Ainsi « Les activités ludiques ne se laissent approcher que par des sentes de traverse. »
Refrain issu d’un jeu chanté, mes recherches sur les jeux et les rondes m’ont conduite à penser que toute explication, même partielle, qui pourrait répondre à la question de l’origine des paroles que je connais – i.e. le loup se vêtit progressivement avant de sortir manger de la brebis – réside peut-être dans des écrits concernant l’éducation en maternelle et en primaire en France entre les années 1880 (cf. la loi Ferry du 28 mars 1882 rendant l’éducation primaire obligatoire pour les enfants dès l’âge de 6 ans) et les années 1920 (cf. les paroles recueillies en Saintonge maritime par Mme Anne Audier – voir plus haut dans cette chronique). Alors que cela fait déjà plusieurs mois que je fais des recherches sur Promenons-nous dans les bois, je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette question. J’espère pouvoir éditer cette chronique dans un futur proche.
Pour terminer avec mes découvertes concernant cette ronde, je me suis aussi penchée sur les informations disponibles concernant sa mélodie. C’est le folkoriste et compositeur, Jean-Baptiste Weckerlin, qui évoque une proximité dans la mélodie entre Promenons-nous dans les bois et la comptine Les Cloches (connue également sous le nom de Le Carillon de Vendôme). L’histoire de cette dernière raconte aussi un pan d’histoire que je vous réserve pour une autre occasion. En attendant, place au son.
Merci de m’avoir lue !
Mes sources
Crédit d'illustrations
Illustration « La ronde » d’un album à colorier, Les Heures Enfantines, par L. Dallet
Sources
Promenons-nous dans les bois (chanson de jeu) – Jean-Baptiste Weckerlin – Wikisource
Promenons-nous dans les bois, Amand Girard – Wikisource
Loup y es-tu (chanson) – Wikipedia
Comptines et jeux d’école en Saintonge – Anne Audier
Loup y es-tu (jeu) – Wikipedia
Jeux et exercices des jeunes filles (6ème édition) – Mme de Chabreul 1890
Faune populaire de la France – Eugène Rolland, tome 8
Billet de blog – Les expressions médiévales – Juliette Bourdier, médiéviste
Partition pour piano d’une Ronde-polka, Loup y es-tu – Henri d’Aubel
Pièce de théâtre, Loup y es-tu – M.A. de Jallais
Article « Comment on fait peur aux enfants » – Nicole Belmont)
Jean-Baptiste Weckerlin – Wikipedia
Article à propos du rapport entre le loup et l’homme, Bruno Mascle
Extrait de « La Petite Enfance, dans l’Europe médiévale et moderne », Jean-Michel Mehl)
Chansons et rondes enfantines / avec notices et accompagnement de piano par J.-B. Weckerlin