Un soupçon de liberté

« C’est pour ça qu’on a des enfants. C’est le secret, tu vois. De la vie éternelle. Enfin, il y a d’abord Jésus, mais l’autre moyen, celui dont on ne parle jamais, c’est la reproduction. J’ai fait ma part, et à travers vous tous je compte bien être immortelle. »

— Margaret Wilkerson Sexton, Un soupçon de liberté

     L’ensemble des éléments graphiques et de présentation d’un livre par un.e éditeur.rice m’importe. Parmi eux, la quatrième de couverture. Elle est comme l’hameçon sur la canne à pêche car elle complète et enrichit l’illustration de la couverture s’il y en a une. Et s’il n’y en a pas, c’est par elle que la conquête peut s’amorcer, en ce qui me concerne. Nom de l’auteur.e et titre ne me suffisent pas. Dans le cas présent, cette quatrième de couverture a fait naître des attentes que j’ai pu identifier et malheureusement qui n’ont pas été comblées par la lecture.

     L’Amérique socialement fracturée de la Louisiane, incarnée par trois membres d’une même famille : la grand-mère, la mère, le petit-fils. Déjà là, la promesse est partiellement tenue. Trois chapitres de vie de trois individus sont bien au rendez-vous. Cependant, l’expérience proposée par le livre de la fracture sociale et raciale en Louisiane ne m’est pas apparue franchement. Je l’ai plutôt trouvée évoquée que transmise par l’écriture. Et j’ai compris, pendant toute la lecture, que j’en attendais plus sur le sujet et que mon enthousiasme se tarissait progressivement.

     De la même façon, la promesse d’un récit poignant reste, après avoir terminé de lire ce livre, un concept plutôt qu’une sensation, voire une émotion tangible. Il est a priori question de personnages qui ne savent plus comment rêver et qui cherchent encore un espoir. Mais moi, je n’ai pas lu le handicap du désespoir, celui qui fige le système nerveux et conduit à des réactions et des comportements où la souffrance provoquée par le désespoir est clairement intolérable. Je n’ai pas trouvé cette recherche éperdue pour croire en demain. Je n’ai pas trouvé cette intensité. Et par conséquent, ce n’est pas un livre qui m’a particulièrement marqué. Cependant …

     Je reste une collectionneuse de mots et j’essaie de maintenir un œil et un cœur ouvert à la beauté en littérature. Et si je devais vous proposer une autre quatrième de couverture, je l’axerais sur la thématique de la relation parent-enfant, centrale pour chaque histoire contée dans ce récit. Et c’est en lien avec cette thématique que ma collection s’est le plus fournie. Je vous laisse découvrir mes petits trésors ci-après.

« Evelyn ne savait que répondre. Elle ne voulait pas avoir l’air ingrate. Elle savait que sa mère l’aimait – le jour où Ruby avait convaincu Evelyn qu’en avalant une pièce d’un dollar celle-ci allait se multiplier, elle avait dû être emmenée de toute urgence à Flint-Goodrich, où elle avait passé la nuit. Sa mère, inconsolable, sanglotait à son chevet. Evelyn l’avait entendue en revenant à elle, et durant ces quelques secondes elle s’était dit que ce dollar contenait peut-être un pouvoir, une magie vaudoue capable d’ouvrir le coeur de sa mère, de l’attacher à elle, mais une fois Evelyn sortie de l’hôpital, tout était redevenu comme avant. Rien n’allait jamais dans ce que disait Evelyn ; rien de ce qu’elle faisait ne lui valait l’approbation maternelle.
[…]
« Ne dites pas ça. Il y a différentes façons de quitter quelqu’un. Si elle est loin tout en étant là [ndlr : votre mère], c’est peut-être encore plus triste.

En fait, il l’avait su tout de suite, il ne serait jamais un père à la hauteur d’un être aussi parfait que son fils, d’ailleurs il en avait apporté la preuve en se faisant boucler. Maintenant le souvenir obsédant de sa propre insuffisance le rongeait et cette douleur menaçait de le dévorer vivant. »

Chacun des personnages se retrouve à interroger sa loyauté vis-à-vis d’un au moins de ses parents. Et l’émancipation émotionnelle et affective que chacun.e d’entre elleux choisit n’est pas simple à incarner. La posture n’est pas facile à verbaliser, à manifester et à affirmer. Dans le récit de ces moments d’émancipation, des doutes qu’ils comportent, des défis qu’ils posent, j’ai trouvé les trois personnages plus attachants – mais toujours pas poignants – face à cette étape qui me semble si commune dans toute histoire de relation parent-enfant.

C’est avec ce filtre-ci que je réalise que le livre prend davantage d’épaisseur que les sensations qu’il m’a laissées. Le soupçon de liberté réside peut-être dans chaque illustration d’émancipation que raconte ce livre. Plus proche de la thématique sociale à mes yeux, je trouve que l’émancipation de la grand-mère s’enracine dans le choix de son partenaire, désapprouvé par son père jusqu’à la transmission de la main de sa fille par ce dernier au gendre qui vient de prononcer ses vœux matrimoniaux. La mère, elle aussi compagne d’un compagnon non approuvé par ses parents, bouscule les relations lorsqu’elle s’autorise à dire à haute voix à ce dernier qu’elle est au bout du rouleau, ce qui lui fournit du courage pour faire de même auprès de ses parents et sa sœur. Enfin, pour le petit-fils, il se prend les pieds dans le tapis alors qu’il est en chemin pour devenir père. Et c’est ce devenir père qui lui offre intérieurement la possibilité de s’émanciper des traumas transgénérationnels qu’il a continué à porter jusque-là.

 
 
 

Bien que le livre ne m’ait pas transcendé, j’aime à penser que j’ai pu lui trouver ses forces et non uniquement souligner ses manquements ou ses faiblesses. À chacun.e de choisir son aventure littéraire le temps d’un instant. Mon expérience n’est certainement pas la vôtre.

Bonne lecture !

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