Betty

« – Je te pardonne, Ruthis. Je te pardonne d’avoir fait de l’école un enfer pour moi. De me dire que je suis moche et une ratée. Oui, je te pardonne. Parce qu’un de ces jours, tu auras mauvaise conscience et tu auras envie de me revoir pour pouvoir t’excuser. Seulement, ce jour-là, je serai tellement loin de toi qu’il faudra que tu prennes une fusée pour parvenir jusqu’à moi. Mais on ne laisse pas n’importe qui rejoindre les étoiles. Je te pardonne aujourd’hui, comme ça, plus tard, quand tu te rendras compte que ta vie est horrible et que nous aurions pu être amies tout ce temps, tu sauras au moins que je t’ai survécu. »

— Tiffany McDaniel

     J’ai offert ce livre avant de me l’offrir. Et en le lisant, j’ai eu un doute sur le cadeau que j’avais fait à quelqu’un qui m’est cher et que mes suggestions littéraires ne cessent de surprendre. J’ai ressenti des choses fortes, parfois dures. J’ai ressenti intensément les scènes de violence que j’ai lues. MAIS j’ai adoré ce livre.

Dans Betty, on parle de famille, de lignée même. On inclut de la transmission aux multiples couleurs, des héritages aux multiples odeurs. Betty est une enfant attachante, membre d’une famille atypique. Ses parents ont défié les autorités familiales et sociales de leur époque – les années 1960 en Ohio, Kentucky et Virginie occidentale – et ont décidé fermement de vivre leur vie comme bon leur semblait, qu’importe les difficultés rencontrées sur le chemin. Ce couple a réuni deux mondes qui n’étaient pas conciliables aux yeux du commun. Rien ne fut particulièrement facile, ni particulièrement difficile d’ailleurs. Ce couple subissait un rejet violent de leur différence de toute part parce que la société ne considérait pas leur union comme respectable. Je trouve que ce qui a permis à ce couple de survivre , c’est la poésie qui s’incarnait sans cesse dans leur vivre ensemble.

Mais la poésie ne suffit pas toujours à empêcher les fantômes et les monstres de rôder, de dérober l’innocence dans la vie, de noircir des êtres qui semblent si lumineux par ailleurs.

Descendre d’Indiens d’Amérique et ne plus appartenir à une tribu pose problème pour l’équilibre intérieur du père de Betty. Avoir subi des violences sexuelles intrafamiliales en pose à sa mère. Pourtant Betty appartient à une grande tribu – ils sont huit enfants – et ensemble cette famille se serre les coudes pour survivre dans un monde parallèle, qui semble parfois incompatible avec celui qui les entoure. Betty découvre qu’elle est la voix de chaque membre de sa famille nucléaire. Elle sera celle qui transmet les croyances indiennes de son père, dont elle boit les paroles avec une admiration sans limites. Betty sera l’oreille, forcée, de sa mère et recueillera, malgré elle, les traumatismes ayant complètement saccagé cette dernière. Betty sera la piste de décollage vers les étoiles de l’infini de son petit frère. Elle tentera d’être la justicière de sa sœur, violée par le demi-frère pendant bien trop longtemps. Betty sera donc le ciment de cette famille, celle qui voit, écrit, raconte, transmet, écoute et aime inconditionnellement toute cette famille, mis à part peut-être ce demi-frère dont l’aura est sombre mais que son père et sa mère n’abandonneront jamais car ils savent que cet enfant est aussi une victime, dès lors qu’il vit et se développe dans le ventre sa mère.

Il faut croire que Betty est arrivée avec un sacré sens du timing dans ma vie. Malgré les scènes violentes que je croisais dans ce livre, je n’ai pas pu le laisser, je n’ai pas pu m’empêcher de le lire jusqu’au bout. J’y ai trouvé un instinct de survie si fort, l’expression d’une confiance en soi incroyable et que j’ai enviée parce que j’en manque encore beaucoup. Betty m’a submergée par sa poésie incroyable qui mêle l’atmosphère à l’humus de la forêt. J’ai trouvé ce livre poignant et splendide et je lui souhaite profondément de traverser les âges, de devenir un classique de littérature américaine.

Je vous laisse avec d’autres extraits que j’ai gardés dans ma collection de souvenirs littéraires.

« Ma sœur était tout simplement une de ces filles condamnées par une idéologie et des textes ancestraux selon lesquels le destin d’une femme est d’être bien comme il faut, obéissante et sagement séduisante, mais invisible au besoin. Clouée à la croix du sexe auquel elle appartient, une jeune femme se trouve coincée entre la mère et la côte biblique, dans un espace réduit qui ne lui permet d’être rien d’autre qu’une fille qui vit auprès de ses frères sans pour autant être leur égale.

Ce costume, ces chaussures, le maquillage sur son visage, tout cela masquait mon père. C’est seulement en observant ses mains que je l’ai retrouvé, dans la terre incrustée autour de ses ongles courts et dans les rides sinueuses des articulations de ses doigts maigres. Des étrangers regardant ses mains n’auraient vu en lui qu’un homme sans importance. Ils se seraient dit qu’il ne comptait pas, étant donné que ses mains étaient sales. Mais dans la vie, ou bien vous vivez dans la maison de quelqu’un d’autre, ou bien vous construisez la vôtre. Un homme qui avait les mains de mon père était un homme qui avait construit sa demeure avec du ciel et des étoiles. Il s’était attaché à la palpitation même de la vie et il en avait délaissé les commodités. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas espérer faire sans vous salir les mains. Vous savez ainsi que vous faites les choses comme il faut. »

Bonne lecture !

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